lundi 9 avril 2012

Belle de jour (de Joseph Kessel)

Bonjour aux belles de jour
Bonjour aux belles de nuit
Bonjour aux zotres

J'ai déjà souligné que Belle de Jour était un de mes coups de coeur et je le confirme ici. Le film de Bunuel (1967) m'avait marqué et je m'étais promis de lire le roman de Joseph Kessel dont il est tiré et c'est désormais chose faite.

Le sujet

Séverine a tout pour être heureuse, la beauté, la jeunesse, la réussite et le statut social, l'amour. Jeune mariée comblée, elle adore son mari Pierre qui le lui rend bien même s'ils font chambres à part et qu'elle n'éprouve aucun plaisir charnel. C'est dans l'avilissement et la prostitution qu'elle va le découvrir, tiraillée entre un amour conjugal sincère et un besoin irrépressible (qu'elle ne comprend pas elle-même et qui la ronge de honte et de peur) de vendre clandestinement son corps à des hommes rustres, sulfureux.

Mon avis

Quel roman ! L'exclamation est encore plus vive et admirative quand on sait qu'il a été écrit en 1928. On n'ose imaginer à quel point il devait être sulfureux à l'époque. A bien des égards il le demeure encore aujourd'hui.

Bien sûr le contexte très bourgeois (avec domestiques, dîners en ville, etc.) est très daté de même que le style est un peu désuet mais on aurait tort de se limiter à cette approche temporelle tant le sujet est traité de façon analytique et donc de manière intemporelle et universelle.

Même si Kessel suit une trame très romanesque et que Belle de jour s'achève quasiment en polar (on frôle certaines techniques du thriller ce qui n'est pas la moindre des qualités du livre ni le moindre des signes de modernité du roman), l'essentiel de cette oeuvre est ailleurs et l'auteur s'attache surtout à analyser les motivations de cette femme, à en décortiquer la psychologie, les failles, les contradictions entre boue et pureté, entre dégoût et fascination. Le résultat est tout simplement brillant et non dénué d'une forme de poésie délétère, d'une certaine sensualité perverse.

Deux extraits

Alors que Séverine est convalescente, elle reçoit un ami de son mari qu'elle n'aime pas
- Vous êtes fatiguée de rester assise, dit Husson. Ne faites pas de cérémonie avec moi. Allongez-vous.
(...) Séverine chercha une réplique nette et dure comme elle en savait trouver si aisément avant sa maladie, mais il ne s'en présenta aucune à son esprit. Pour éviter que cette sorte de lutte ne tournât au ridicule, elle alla s'étendre, pleine d'irritation et de gêne.
- Si vous saviez comme vous êtes mieux ainsi, reprit doucement Husson. Vous devez croire - et on a dû vous le répéter - que vous étiez faite pour le mouvement. Les gens sont superficiels. Dès que je vous ai connue, j'ai pensé à vous couchée. Comme j'avais raison ! Quelle mollesse soudaine ! Quelle confession des muscles...
Tout en parlant, il s'était placé un peu en retrait, de sorte que Séverine ne le voyait plus. Sa voix était seule à agir, cette voix dont, à l'ordinaire, il semblait ignorer la puissance et de laquelle il jouait maintenant comme d'un instrument dangereux. Elle ne s'adressait pas à l'ouïe seulement mais à toutes les cellules nerveuses, dissolvante, secrète. (P.28-29)

Dans le salon de Madame Anaïs, Belle de jour reçoit quasi quotidiennement la visite de Marcel, un mauvais garçon
De toute la soirée, l'image de Marcel ne la quitta point. Elle était encore liée à lui par la robe qu'elle portait et qu'il avait défaite, par la peau qu'il avait caressée et qu'elle n'avait pas pris le temps de purifier. Séverine sentit qu'elle était très belle, ce soir-là, elle sentit aussi une ivresse perverse à confondre les deux femmes dont elle était formée, et, au moment de sortir, elle embrassa Pierre avec une chaleur qui ne lui était pas uniquement destinée. (P.112)

Conclusion

Une oeuvre littéraire brillante, sulfureuse et empreinte d'une admirable finesse analytique.

1 commentaire:

Lili Galipette a dit…

C'est chez toi que j'ai trouvé l'idée de le lire !